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Nicolas Mercier : « Le secret : être sincère et ne pas avoir peur de déconner »

Nicolas Mercier milite pour le mélange des genres. Ancien élève de la Fémis, il a fait ses gammes sur les sitcoms de M6, TF1 et France 2, loin de l’agitation du prime-time. Clara Sheller, ou le désordre amoureux, la série de 6 X 52’ qu’il a écrite pour Scarlett Productions a réuni une moyenne de 5,6 millions de téléspectateurs lors de sa première diffusion. Sa réussite est d’autant plus remarquable qu’elle intervient dans un paysage dominé par des fictions policières à cent lieues de l’univers intimiste de Clara et de son colocataire JP.

Propos recueillis par Patrick Claudet, le 22 septembre 2005.

/script: Nicolas Mercier, comment est né le projet de Clara Sheller?

Nicolas Mercier: On a tout d’abord fait appel à moi en tant que consultant. L’idée de base était ténue, l’intrigue ne fonctionnait pas vraiment. C’était ally mcbeal à la sauce française, l’histoire d’une journaliste dont on suivait à la fois les enquêtes professionnelles et la vie intime. Le personnage de JP était déjà présent, mais c’était un homosexuel très efféminé avec lequel Clara n’avait que peu de rapports. J’ai travaillé avec l’auteur de l’idée originale, puis, lorsqu’elle a rendu le scénario du premier épisode, la chaîne – pas convaincue – a décidé de me confier la responsabilité du projet. C’est à partir de ce moment-là que la relation amoureuse entre les deux protagonistes a débuté.

Avez-vous eu carte blanche?

Parfaitement. Comme Laurence Bachman, alors directrice de la fiction de France 2, n’était pas certaine de trouver une case pour programmer la série, elle m’a dit d’écrire ce que je voulais. Ma liberté a été totale.

Quelles références aviez-vous en tête au moment de l’écriture?

Mes émotions ont été ma première référence. C’est avec elles que j’ai nourri l’intrigue et mes personnages, d’autant qu’il y a beaucoup de moi dans ce que je raconte. Mais si vous parlez de séries qui m’auraient servi de modèle, je citerais Six Feet Under et Angela 15 ans. Dans Six Feet Under, j’apprécie beaucoup le travail sur les personnages, notamment celui de la mère qui apparaît comme une femme à la fois totalement coincée et passionnée. Dans Angela 15 ans, c’est la voix off qui m’a particulièrement plu. Je la trouve beaucoup plus poétique et sensible que celle de Sex and the City.

Ces modèles n’ont-ils pas été trop intimidants?

Clara Sheller a une identité bien française. La série n’a rien d’un pastiche, elle ose à sa manière. On m’a dit que Sex and the City allait plus loin mais je ne suis pas d’accord. Dans cette série (que j’adore, soit dit en passant), Carrie Bradshaw est entourée de trois copines hystériques, mais elle, l’héroïne, reste très proprette. A part ses tenues affriolantes et ses gaffes à répétition, elle est plutôt normale. Les choix de Clara, eux, sont plus osés: elle avorte et elle a le courage de son désordre. Il ne faut pas confondre le fond et la forme.

Votre expérience sur sous le soleil, une autre série en format 52 minutes, a-t-elle facilité votre travail d’écriture?

Sous le soleil a été une école formidable. J’y ai fait mes gammes. En France, ce type de programme est déconsidéré mais il permet aux auteurs d’apprendre leur métier avec moins de pression et plus de liberté. Rien ne m’insupporte plus que cette classification arbitraire qui fait que la télévision de 20 heures crache sur celle de 18 heures. Étant moi-même touche-à-tout, je milite pour le mélange des genres surtout quand il permet aux auteurs d’apprendre leur métier.

Pour Clara Sheller, avez-vous d’emblée opté pour le format 52 minutes?

C’était une volonté de la chaîne mais elle correspondait parfaitement à mes aspirations. Ce format est celui qui me convient le mieux. A l’écriture, par exemple, on se lasse moins vite que sur un 90 minutes. On est obligé d’être succinct, d’aller à l’essentiel. De plus, je trouve que c’est un format très érotique. L’audience reste généralement sur sa faim après 52 minutes. Exciter le désir du téléspectateur est assez jouissif.

Connaissiez-vous le casting au moment de l’écriture?

Non, il n’a été fait qu’une fois les scénarios écrits. Quand on m’a présenté les comédiens, j’ai tout de suite pensé qu’ils collaient parfaitement aux personnages. Mélanie Doutey s’impose dans le rôle de Clara, il n’y a pas de doute, c’est elle. Quant à Frédéric Diefenthal, un acteur d’ordinaire plus porté vers le cinéma populaire, c’est une excellente idée que de lui avoir proposé le rôle de JP, ça lui a permis de montrer tout ce dont il est capable.

Est-ce que vous vous attendiez à ce succès?

Je ne voulais pas trop y croire. En fait, je me disais que ça n’allait pas marcher, comme par superstition, mais je trouve finalement normal que la série ait trouvé son public. Normal parce que lorsque j’ai fait lire mes scénarios, avant le tournage, les réactions ont été très enthousiastes. Tout le monde avait pris du plaisir à suivre ces personnages. Le plus réjouissant, c’est que ces échos positifs venaient de lecteurs au profil très différent, vivant aussi bien à Paris qu’en Province. Très vite, donc, j’ai eu la conviction que mon histoire était bien écrite et qu’elle pouvait séduire un public plus large que le cercle réduit des Parisiens branchés.

Clara Sheller inaugure-t-elle une nouvelle ère dans la fiction télévisuelle française?

On me pose souvent la question, et, très franchement, je trouve désolant que Clara Sheller soit l’unique exemple illustrant ce prétendu renouveau. M6 essaie bien d’innover mais le résultat est à mes yeux assez peu convaincant. Ça manque de profondeur, le côté branché est privilégié au détriment de l’humanité des personnages. D’ailleurs, je suis globalement consterné par le niveau général de la fiction télévisée en France.

À qui la faute?

Les chaînes sont souvent montrées du doigt mais les auteurs et les producteurs doivent être mis face à leurs responsabilités. C’est à eux qu’il appartient de créer des histoires divertissantes et des personnages attachants. Personne d’autre ne peut le faire. Trop souvent, on voit des protagonistes construits de manière caricaturale et dénués de toute humanité. Un héros n’est touchant que s’il se bat contre ses propres contradictions, s’il a des failles. Clara et JP, par exemple, ont un côté très égoïste. En dépit de ses allures B.C.B.G., le personnage d’Antoine n’est pas que la caricature d’un homme d’affaires. Il est prêt à mettre de l’eau dans son vin pour être avec Clara, il fait preuve d’humanité.

Selon votre expérience, qu’est-ce qui rend un personnage attachant?

La souplesse de sa psychologie. Pour que les personnages soient lisibles, on peut avoir tendance à les enfermer dans un carcan. C’est tout faux. Plus la psychologie est complexe et raffinée, plus le personnage est juste. La mère de Clara, par exemple, est une mère très tendre, mais elle n’est pas très maternelle avec sa petite fille. Cette apparente contradiction la rend humaine et permet aux spectateurs de s’identifier à elle. Arrêtons de prendre les spectateurs pour des idiots en leur imposant des protagonistes simplistes et unidimensionnels.

France 2 vient d’annoncer que Clara Sheller aurait une suite. Avez-vous déjà commencé à plancher sur la deuxième saison?

Je viens de m’y mettre et ça me fait un peu peur. Ces temps, je vois beaucoup de films qui sont des suites, ce n’est pas toujours très convaincant. Le challenge est toutefois très motivant. L’idée de garder l’esprit de la série tout en déclinant de nouveaux thèmes me plaît beaucoup.

Avez-vous déjà quelques pistes?

J’ai quelques idées, notamment en ce qui concerne le personnage de JP. J’ai envie de lui donner sa chance. Non pas parce que c’est ce que le public demande mais parce que cela permettra de poursuivre l’exploration de la thématique de l’homosexualité. La mélancolie et la souffrance du personnage au terme de la première saison sont des choses auxquelles je tenais, même si on me demande souvent si c’est le diffuseur qui a imposé la fin. Cette thématique est intéressante car il ne faut pas se leurrer: l’homosexualité n’est pas une question qui se règle en trois coups de cuillère à pot. Quand on veut s’assumer en tant qu’homosexuel, il faut combattre ses propres fantasmes et ses propres illusions, mettre de côté aussi l’image de l’homme parfait. Ce que les femmes parviennent à faire, me semble-t-il, plus rapidement.

Quand le tournage de cette deuxième saison est-il prévu?

A l’automne 2006. C’est d’ailleurs moi qui ai implicitement choisi cette date, puisque la première idée que j’ai eue en envisageant cette deuxième saison a été que ça se passerait en automne. J’ai finalement une conception assez naturaliste de la narration. L’été était très présent dans les six premiers épisodes, c’est une saison où l’on fait plus l’amour, où l’on est dehors. Avec l’automne, c’est une autre énergie. Cela peut paraître accessoire mais j’ai besoin d’alterner les atmosphères autant que les émotions. Ces contrastes existent dans la vie mais finalement très peu à la télévision. C’est ça qui m’intéresse.

Comment se déroulera l’écriture des six nouveaux épisodes?

Une chose est sûre: il faudra qu’elle soit rapide. Les six premiers ont été écrits en un an et demi, c’est-à-dire le double ou presque du temps dont j’ai aujourd’hui à disposition. Je ne m’inquiète pas pour autant. D’une part, je connais mes personnages, ils sont le prolongement de moi-même, et je connais aussi leur manière de parler, leur rythme. D’autre part, je n’exclus pas de travailler avec d’autres scénaristes. La difficulté pour eux sera de se fondre dans mon univers. Comme ce n’est jamais gagné d’avance, je me demande s’il ne serait pas préférable de travailler avec des gens qui sont proches de moi et qui me connaissent, même s’ils ne font pas partie du sérail.

Clara Sheller vous laisse-t-elle suffisamment de temps pour travailler sur d’autres projets?

En ce moment, je développe le jour où la vie continue, un projet de téléfilm pour France 2 dont le tournage est prévu l’été prochain. Le contrat a été signé avant la diffusion de Clara Sheller mais je n’en débute l’écriture que maintenant (j’ai préféré attendre la nomination d’un nouveau conseiller littéraire pour me mettre au travail, les rapports avec son prédécesseur s’étant révélés problématiques). Par ailleurs, Laurent Tirard (Mensonges et trahisons, 2004) va tourner l’un de mes scénarios pour le cinéma.

Entre le cinéma et la télévision, où va votre préférence?

En tant que scénariste, je trouve plus intéressant de travailler à la télévision, où le scénariste occupe une place de choix. De surcroît, je me sens plus libre sur un format de 52 minutes que sur un long métrage de cinéma. Avoir six heures pour raconter une histoire n’est pas un luxe courant dans le 7e art. Et puis la télévision n’implique pas forcément un nivellement par le bas. Les gens ont en apparence des vies simples, mais ils ont tous une existence intérieure. Ils n’ont pas besoin de suivre une histoire extraordinaire ou rocambolesque pour s’identifier, ils sont touchés par des personnages attachants quelle que soit leur tranche d’âge, comme cela a été le cas avec Clara Sheller. C’est réjouissant, car la télévision a pendant longtemps abandonné le moteur sentimental au profit des intrigues policières. C’est pour cette raison que beaucoup de professionnels me prédisaient d’ailleurs l’échec de Clara Sheller. Au final, c’est l’inverse qui s’est produit et cela montre à quel point les producteurs et les professionnels dans leur grande majorité méconnaissent les attentes du public.

Finalement, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un auteur qui souhaite développer un concept de série en format 52 minutes?

Le secret, c’est d’être sincère et de ne pas avoir peur de déconner. Ce métier doit rester un plaisir. Attention aussi à ne pas penser à ce qui pourrait plaire à un producteur, un diffuseur ou au public. Maîtriser les techniques du scénario est également utile. Pour ce faire, il n’y a rien de tel que d’écrire des choses qui ne sont pas perçues comme "importantes", à l’instar des sitcoms et de l’animation. C’est la meilleure manière de se faire la main, n’en déplaise à tous ceux qui en France cultivent une prétention soit misérabiliste, soit artistique.


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